Voilà le signe
- Soline de Geloes

- 24 déc. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 déc. 2022
Homélie du samedi 24 décembre 2022 en la nuit de Noël (Lc 2, 1-14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ces jours-là,
parut un édit de l’empereur Auguste,
ordonnant de recenser toute la terre
– ce premier recensement eut lieu
lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie.
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth,
vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem.
Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
Il venait se faire recenser avec Marie,
qui lui avait été accordée en mariage
et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là,
le temps où elle devait enfanter fut accompli.
Et elle mit au monde son fils premier-né ;
elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire,
car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Dans la même région, il y avait des bergers
qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs
pour garder leurs troupeaux.
L’ange du Seigneur se présenta devant eux,
et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
Ils furent saisis d’une grande crainte.
Alors l’ange leur dit :
« Ne craignez pas,
car voici que je vous annonce une bonne nouvelle,
qui sera une grande joie pour tout le peuple :
Aujourd’hui, dans la ville de David,
vous est né un Sauveur
qui est le Christ, le Seigneur.
Et voici le signe qui vous est donné :
vous trouverez un nouveau-né
emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable,
qui louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux,
et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »
– Acclamons la Parole de Dieu.
Homélie
Je dois vous avouer une chose. Quand vient le moment de célébrer Noël, je suis souvent habité par des sentiments contraires. D’un côté, je suis invité à la joie et à la fête mais de l’autre, je sais bien qu’il n’y a pas de trêve pour ceux qui souffrent.
C’est particulièrement sensible cette année, je trouve : l’Europe est en guerre ; la crise économique succède à la crise sanitaire, laissant beaucoup de familles dans le besoin. Des réfugiés passent Noël dans des centres de détention administrative...
Toutes ces nouvelles abondamment relayées par les médias peuvent susciter en moi une certaine gêne au moment de sortir le champagne et les cotillons. Serait-ce une façon de détourner le regard et d’oublier la peine des hommes ? Peut-être d’oublier mes propres peines ?
Et puis, en relisant l'Évangile de la nuit de Noël, je me suis réjoui de constater que ce récit ne masque pas les choses difficiles. Il ne passe pas sur les difficultés de Joseph cherchant un lieu où Marie puisse accoucher. Il montre comment de pauvres bergers vivent à l’année dans un désert où il fait très froid la nuit.
En un sens, l’Évangile de Noël ressemble à notre monde : il y a de la joie, du merveilleux mais aussi une part de misère qui est regardée en face. Ce réalisme me plait.
Je parlais à l’instant de cette petite gêne que nous pouvons éprouver au moment de fêter la naissance de Jésus. Vous voyez, ce léger point de tension, cette ombre discrète dans le beau paysage de Noël, cela contribue à dessiner la vie telle qu’elle est, et non telle que nous la rêvons.
Prendre la vie comme elle est, c’est en tout cas le choix de Dieu. Quand le Seigneur a décidé de naître parmi nous, il n’a pas fait place nette ! Il n’a pas changé les règles du jeu ! Il est né dans un monde qui connait le froid et la faim, un monde où il y a des boiteux et des aveugles…
Et quelle chose étrange que Dieu, en naissant parmi nous, ne fasse pas déjà toutes choses nouvelles ! Comme tous les prophètes qui l’ont précédé, Jésus annonce et promet un monde nouveau, une terre exempte de toute peine. Mais en trente-trois ans de vie sur terre, il ne change rien, ou si peu… J’essaye de comprendre.
Dieu voulait probablement que nous l’entendions prononcer ces mots magnifiques : “J’aime ce monde tel qu’il est maintenant, dès avant que je le change. Et toi - qui que tu sois, quels que soient ton histoire, ta souffrance ou ton péché - je t’aime tel que tu es maintenant, je t’aime ainsi.”
Quoi qu’il en soit, quand Dieu dit aux bergers : “Paix sur terre à tous les hommes”, nous sommes loin d’une formule magique qui mettrait fin aux difficultés de ce monde.
Je ne crois pas qu’il ne s’agit pas d’un mensonge ou d’un aveu de faiblesse de la part du Seigneur. Cette parole se présente comme une promesse faite à l’humanité.
Une promesse. Une promesse divine qui nous confronte inévitablement à l’épreuve de la foi et à la question qui traverse toute la destinée des hommes : “comment croire à l’amour de Dieu et à sa promesse de paix quand la vie ne cesse pas de nous soumettre à toutes sortes d’épreuves ?”
En cette sainte nuit - reconnaissons-le - Dieu nous déroute. Dieu nous déroute car il ne vient pas avec la toute-puissance des grands de ce monde mais avec la force de l’amour. Un amour extrêmement fragile, puisqu’il se donne à la manière d’un “enfant nouveau-né couché dans une mangeoire”. “Voilà le signe qui [nous] est donné”.
S’il n’y avait pas eu la soudaine lumière accompagnant les anges dans le ciel, les bergers n’auraient jamais osé y croire, tant ce nourrisson était éloigné de ce qu’ils s’imaginaient spontanément au sujet de Dieu. Ce petit être frêle était tellement démuni que, sans le lait maternel dispensé à intervalles réguliers, Dieu n’aurait pas pu survivre comme créature humaine au-delà de quelques heures. Le Créateur de l’univers, lui qui donne la nourriture à tout être vivant, serait mort de faim… Pire encore : sans l’affection d’une jeune maman, sans sa tendresse maternelle manifestée de mille manières, le Dieu Amour se serait replié sur lui-même, ses puissances affectives se seraient étiolées… A bref délai, Dieu serait mort d’asphyxie, par manque d’amour.
Devenir faible et vulnérable à ce point, Dieu en a pris le risque. C’était probablement la seule façon pour lui de nous dire quelque chose d'important à son sujet. “Je suis faible, je suis fragile, dit le Seigneur. Et c’est ainsi que je vous aime.”
Plus tard, Jésus dira : “Si vous ne devenez pas vous-mêmes comme ce petit enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux” (Mt 18, 15). N’y voyez pas de menace mais une promesse, un avenir. Notre chemin de vie, c’est d’accepter chaque jour un peu plus d’être faibles et fragiles. La vieillesse et la mort se chargeront du reste. Elles nous apprendront à nous laisser aimer et sauver par Celui qui nous ressemble. Entre Dieu et l’homme, entre les hommes aussi, on ne peut s’aimer vraiment que pauvres et démunis, humblement habités par le besoin de l’autre, tel l’Enfant de Bethléem.
Amen.
Commentaires