Homélie du dimanche 9 février 2020 (Mt 5, 13-16)
Jean-Paul II nous enjoignait à “construire la civilisation de l’amour”. Il y a dans ce projet quelque chose d’utopique car “l’unité parfaite” ne sera pas la résultante de nos efforts. Elle sera le don gratuit de Dieu, à l’initiative du Père, lorsque Jésus viendra dans sa gloire nous ouvrir les portes de son Royaume.
En attendant le Jour dernier, l’unité parfaite ne nous est pas donnée. C’est un constat. Ou pour le dire à la manière de Jésus : en attendant le jour de la moisson, l’ivraie reste mêlée au bon grain.
Faut-il arracher l’ivraie ? Forcer les coeurs à adhérer au Christ ? Faut-il étouffer les voix contraires ? “Non” dit Jésus. “En enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps” (Mt 13, 29). En voulant extirper le mal, vous risquez de vous convertir à ses méthodes violentes et d’arracher en vous ce qu’il y a de meilleur. C’était la tentation des zélotes au temps de Jésus. Ou celle de Jacques et Jean suggérant à Jésus de faire “tomber le feu du ciel” sur ses opposants (Lc 9, 54.55).
Cette tentation perdure dans le coeur de chrétiens qui aspirent à une revanche de l’Église sur le monde profane voire au retour à un âge d’or du christianisme. Je crois qu’ils se trompent. La civilisation de l’amour n’est pas une terre perdue à reconquérir. Elle est la promesse que Dieu nous fait de sauver l’Histoire.
En attendant l’avènement du Royaume, le Seigneur ne nous demande pas d’arracher l’ivraie mais d’apporter le sel au monde. Nous sommes “le sel de la terre”.
A l’époque de Jésus, manquer de sel était dramatique. Seul le sel permettait de conserver les autres aliments. Alors, si le sel est indispensable à la préservation des aliments, les chrétiens sont indispensables à la préservation de l’humanité. Pourquoi ? Parce qu’ils portent le Christ à l’humanité. Le Christ est l’Homme, l’Homme véritable que les chrétiens présentent au monde. Ecce homo. Que l’humanité soit privée de l’Homme véritable et elle se déshumanise. Nous ne le savons que trop.
Le sel est indispensable mais les aliments trop salés sont immangeables. Le sel se doit d’être dosé. Non qu’il faille réfréner notre ardeur évangélique mais plutôt interroger la qualité de notre rapport au monde.
La présence chrétienne est comme un ferment dans le monde. Jésus ne nous place pas dans une logique de conquête mais d’imprégnation, chacun à rendre compte, là où il est, de l’espérance qui est en lui (1P 3, 4). Plus que jamais, nous sommes convoqués à l’humilité. Notre horizon, c’est le service gratuit et désintéressé de ce monde, à l’exemple du Christ lavant les pieds de ses amis. C’est ainsi que nous transmettons le bon goût de l’Évangile à nos contemporains.
A ce titre, le sel est un serviteur discret. S’il sait se tenir à sa place, on remarque plus son absence que sa présence. Mais qu’il vienne à manquer et le monde devient insipide voire corrompu.
Saint Paul a entendu l’appel de Jésus à être “sel de la terre”. Il n’en tire pas orgueil. Plutôt que de faire étalage de sa remarquable instruction, il vient à Corinthe en toute humilité : “C’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant que je me suis présenté à vous [...] pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.”
Que la même humilité nous soit donnée.
Amen.
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