Homélie du 11 novembre 2019 (Sg 1, 1-7)
L'autel du père Doncoeur à Confrécourt.
“Aimez la justice, vous qui gouvernez la terre. Le Seigneur scrute vos reins ; avec clairvoyance il observe votre coeur, il écoute les propos de votre bouche” (Sg 1, 1a.6b)
Cette mise en garde du livre de la Sagesse s’adresse aux rois et aux puissants. Par extension, elle s’adresse donc à tous ceux qui exercent un pouvoir dans la cité ou dans l’ensemble de la société.
Disposer d’un pouvoir ou d’une charge publique n’est pas condamné par Dieu. Au contraire, ce texte de la Bible rappelle que puissance et domination sont des dons que Dieu lui-même fait à ceux qui ont des responsabilités, y compris à ceux qui ne le connaissent pas. La puissance étant un des attributs de Dieu, en quelque sorte une de ses qualités, elle ne peut être considérée comme mauvaise. Seule importe la manière de s’en servir. Est-ce bien ainsi que Dieu lui-même en aurait fait usage ?
Dans l’exercice ordinaire de la responsabilité, il y a notamment l’exercice de la force publique et parfois la guerre. Pour nommer les réalités sans ambiguïtés, l’Église a toujours considéré qu’il existe des situations où il peut être fait usage de la puissance militaire ou répressive mais dans des conditions d’une légitime défense. C’est ce que la théologie morale appelle les conditions d’une guerre juste. L’appréciation de ceux qui ont à en décider appelle de leur part un jugement prudentiel mais, au fond comme toute décision concernant la vie de la cité, requiert une analyse rigoureuse de sa légitimité morale.
La première attitude de l’homme qui le distingue de l’animal, c’est de savoir reconnaître l’existence d’un mystère qui le précède et le dépasse. Savoir humblement admettre que je ne suis pas ma propre origine et que l’humanité à laquelle j’appartiens n’est pas le fruit du hasard mais la volonté d’un Autre. Comprendre qu’il existe une puissance qui me précède, puissance qui me donne à chaque instant “la vie, le mouvement et l’être”, comme le disait Saint Paul aux philosophes de la ville d’Athènes.
C’est lorsque l’homme oublie ce donné de sa nature humaine, c’est quand il pense qu’il se donne à lui-même la vie qu’il marche vers sa propre destruction, entraînant avec lui une multitude de frères dont il avait la charge. Notre histoire est pleine de ces violences qui sont tout sauf des guerres justes et proportionnées, dans une légitime défense. Elles sont souvent habillées des idéologies qui prétendent rechercher le bien des hommes ou du pays. En vérité, elles peinent à cacher leur racine commune, l’orgueil incommensurable qui nous menace tous : ne pas reconnaître que notre origine est dans la volonté d’un Autre transcendant.
Il faut beaucoup d’humilité pour admettre qu’une puissance précède l’homme, puissance dont il reçoit sa force. Cette humilité est un autre nom de la sagesse, elle est une manière de conduire tous les aspects de sa vie en se sachant portés par un Autre. Celui qui a assez de force pour y consentir, celui qui a assez de courage pour être humble, celui-là, même s’il ne connaît pas Dieu, porte sa nature humaine au plus haut de sa dignité.
C’est cette dignité que j’ai retrouvée à Confrécourt, sur la ligne de front. C’est là, dans les abris creusés à même la roche calcaire, que nos jeunes aïeux tentaient de prendre des forces avant d’emprunter l’escalier qui montait jusqu’aux tranchées. A gauche de “l’escalier de la mort” - comme ils l’avaient baptisé - une cavité servait chaque jour de table d’autel. Le père Doncoeur y célébrait la messe pour les Poilus. Juste au-dessus, l’inscription “Dieu protège la France”.
C’est ici que j’ai célébré moi-même pour nos soldats, en action de grâces pour le témoignage de ces hommes tombés à genoux devant le mystère de leur origine et de leur fin.
Amen.
Source : P. Patrick Bonafé, 2015.
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