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Une valse à trois temps

Homélie du dimanche 23 février 2020 (Mt 5, 38-48)



● “Aimez vos ennemis”. C’est pour moi l’une des paroles de l’évangile les plus difficiles à entendre. Prenez la personne qui vous a le plus fait souffrir et entendez Jésus vous dire : “Aime-la”. Si vraiment vous avez longtemps souffert de sa perversité, vous me répondrez : “Je ne peux pas”. Et je vous comprends. Et Jésus vous comprend. N’est pas parfait qui veut.


Partons peut-être de ce constat d’échec pour confesser notre impuissance : “Père, je ne sais pas pardonner comme toi, tu pardonnes. Seigneur, je ne sais pas aimer comme toi, tu aimes”. Cet aveu a le mérite de nous établir dans la vérité et donc en Jésus-Christ. L’aveu de notre incapacité à pardonner fait de nous des humbles et donc des hommes et des femmes aux relations plus ajustées avec autrui. Enfin, cet aveu nous dispose à demander pour nous-mêmes le pardon de Dieu : “Prends pitié de moi, Seigneur.” Je crois que la réconciliation avec celui qui nous a blessé commence en nous, par une réconciliation intérieure que seule la grâce de Dieu peut initier.


Si nous parvenons un jour à la perfection dont parle Jésus aujourd’hui, ce sera le travail de la grâce plutôt que le nôtre. Car ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu (Lc 18, 27). Mais si nous comprenons dans quel sens la grâce oeuvre en nous, il nous sera plus facile de travailler en son sens. C’est précisément ce que Jésus nous révèle en ce dimanche. Il nous apprend qu’en pareille situation, la grâce nous entraîne dans une valse à trois temps : elle procède en trois étapes.


● La première, c’est le dépassement de la loi du Talion. “Œil pour œil, dent pour dent” (Ex 21, 24). Cette vieille loi avait fait ses preuves dans les civilisations anciennes du Proche-Orient. Elle visait à pondérer le désir de vengeance dans les relations humaines. Rappelez-vous le chant de Lamek, au début du livre de la Genèse : “Oui, j’ai tué un homme pour une blessure ; j’ai tué un enfant pour une meurtrissure.” (Gn 4, 23-24). Il fallait que la loi du Talion réfrène nos velléités de vengeance.

Si Jésus parle de dépasser cette loi, c’est parce qu’elle ne représente qu’une étape vers la sagesse. Ce que Jésus commande, c’est de “ne pas riposter au méchant”. Une riposte facile serait de médire à son endroit. Médire, c’est simplement faire connaître à d’autres le mal qui nous a été fait. Aussi légitime que cela puisse paraître, Jésus nous invite à la plus grande discrétion. Les trois tamis de Socrate nous enseignaient déjà que tout ce qui est vrai n’est pas nécessairement bon et utile à transmettre.


● La deuxième oeuvre de la grâce en nous, c’est la fameuse joue tendue. “Tendre l’autre joue” ne consiste pas à courir auprès de son bourreau pour réclamer de lui une nouvelle manifestation de sa perversité. Mais sur le chemin de notre réconciliation intérieure, il y a ce cap - difficile à franchir - qui consiste à nous exposer de nouveau. Nous exposer au monde et à ses dangers, au risque de croiser de nouvelles formes de perversité. “Tendre l’autre joue” consiste à exposer une vulnérabilité volontaire en vue de redécouvrir la confiance née de l’amour.


● La troisième oeuvre de la grâce, ce sont les deux mille pas parcourus avec celui qui ne nous en demandait que mille. Jésus ne se contente pas de dénoncer notre système d’équivalence dans la violence (oeil pour oeil, dent pour dent), il entend que nous renoncions aussi à notre système d’équivalence dans le bien. Par-donner, c’est donner par-delà. Par delà l’offense bien sûr, mais aussi par-delà toute mesure. C’est probablement à cela que l’on reconnaît un coeur réconcilié : quand il donne de nouveau généreusement, sans compter.


En attendant d’y parvenir, avec l’aide de la grâce, prions pour ceux qui nous ont fait du mal, surtout s’ils sont chrétiens. Le seul véritable Ennemi est celui qui cherche à blesser le lien baptismal, le lien filial. “Priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux”.


Amen.



 

Question d'un paroissien : "Dimanche dernier, tu disais qu'il fallait éviter de médire, de rapporter le mal qui nous a été fait. Je suis d'accord sur le fait que le but n'est pas de se venger et de rajouter de la souffrance à la souffrance. Mais qu'en est il alors de la loi du silence où certaines victimes n'osent pas parler ?"


Réponse du père Olivier : "Je distinguerais volontiers deux temps : celui de la qualification objective des faits, nécessaire, puis celui de la reconstruction personnelle, où la médisance appliquée à la personne 'ennemie' et non plus à ses mauvais agissements passés n'apporte rien de bon. Dans le contexte de mon homélie de dimanche dernier, il s'agit précisément de ce processus de réconciliation intérieure avec 'l'ennemi'."


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