Homélie du samedi 28 mars 2020 (Jr 11, 18-20)
Lecture du livre du prophète Jérémie
« Seigneur, tu m’as fait savoir, et maintenant je sais, tu m’as fait voir leurs manœuvres. Moi, j’étais comme un agneau docile qu’on emmène à l’abattoir, et je ne savais pas qu’ils montaient un complot contre moi. Ils disaient : “Coupons l’arbre à la racine, retranchons-le de la terre des vivants, afin qu’on oublie jusqu’à son nom.” Seigneur de l’univers, toi qui juges avec justice, qui scrutes les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause. » – Parole du Seigneur.
Homélie
Jérémie est l’une des figures les plus attachantes de la Bible, tout en sensibilité et en intériorité. Il vit une période extrêmement troublée, marquée par le délitement de l’empire assyrien et la montée en puissance d’un ennemi non moins menaçant : Babylone. Originaire d’Anatot, c’est dans la ville voisine de Jérusalem que Jérémie prête sa voix au Seigneur. D’abord pour encourager le peuple dans son désir de conversion, au temps de la grande réforme spirituelle initiée par le roi Josias. Puis pour dénoncer le retour de l'idolâtrie et des manigances sous le triste règne du roi Sédécias. C’est à ce moment que Jérémie se fait bien malgré lui des ennemis. Chez lui, à Anatot, et à la cour du Roi. Les hommes de pouvoir sont capables de tout pour étendre leur autorité et se débarrasser des voix dissonantes.
Ce que nous écoutons aujourd’hui, c’est la complainte de Jérémie : “Moi, j’étais comme un agneau docile qu’on emmène à l’abattoir. Je ne savais pas qu’ils montaient un complot contre moi.” Trop confiant, Jérémie ne mesurait pas à quel point on lui préparait la boucherie. Il a fallu que Dieu lui ouvre les yeux. “Seigneur, tu m’as fait savoir, et maintenant je sais, tu m’as fait voir leurs manœuvres” (Jr 11, 18).
Avec une sorte de surprise douloureuse, Jérémie comprend que sa liquidation était décidée depuis longtemps. Il part, le coeur amer, écoeuré : “Pourquoi le chemin des méchants est-il prospère ? Pourquoi sont-ils paisibles, tous les traîtres ?” (Jr 12, 1). Pour autant, il choisit d’abandonner à Dieu sa revanche : “Seigneur de l’univers, c’est à toi que j’ai remis ma cause. Toi qui juges avec justice, toi qui sondes les reins et les coeurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras” (Jr 11, 20).
Confier à Dieu sa revanche, une bonne opération ? Il faut pour le moins de la patience. Jérémie aura attendu six siècles avant de trouver satisfaction. Sur la croix, le Christ renonce (comme Jérémie) à se donner sa propre vengeance. Dans un dernier cri, il abandonne toutes choses à son Père, jusqu’au sort de ses détracteurs. Il ajoute cette parole, que Jérémie n’avait pas su articuler : “Père, pardonne-leur”.
Contrairement aux apparences, cet élan de miséricorde est une vraie revanche sur les coeurs odieux. Car “Père, pardonne-leur”, c’est la parole qu’aucun coeur mauvais ne supporte d’entendre. Cette parole condamne les coeurs fermés à la miséricorde et restés mauvais, de la même manière qu’elle sauve les coeurs qui se laissent radicalement changer.
La revanche de Jérémie, celle de Jésus, la nôtre, ce sont ces coeurs qu’il nous sera si facile de fréquenter et d’aimer dans le Royaume, tant ils auront changés.
Et si le nôtre change aussi (?), préparons-nous à faire leur paradis.
Amen.
Comentários