Conte de Noël
Homélie de la nuit de Noël, le mardi 24 décembre 2019

Aujourd’hui, cela n’intéresse plus grand monde. Mais autrefois, l’humanité se demandait à quoi pouvait ressembler Dieu. Le sujet la passionnait, même !
Nos aïeux lui ont prêté bien des visages. Les uns prenaient Dieu pour un grand guerrier ; les autres pour un astre du ciel. On l’a présenté comme un architecte… Un grand architecte ! Certains ont parlé de lui comme d’un roi puissant. Quelques-uns ont cru le reconnaître sous les traits d’un sorcier doté de pouvoirs magiques. D’autres encore ont dit de Dieu qu’il était comme un médecin capable de tout soigner...
Plus le temps a passé, moins ces images de Dieu convainquaient les hommes.
Parmi eux, de grands sages se sont levés et ont proclamé :
“Si Dieu existe, il est forcément différent de nous et il n’a pas de visage. Rien ni personne ne pourra jamais le représenter. Personne ne pourra le voir de ses yeux ni l’entendre de ses oreilles. Dieu n’a ni forme ni visage et il restera toujours pour nous un mystère.”
Les hommes ont écouté cette parole de sagesse, ils l’ont méditée puis ils se sont tus.
Le temps a passé. Les hommes se sont dit : “Dieu n’existe pas”.
Le temps a passé, encore. Les hommes ne disaient plus rien. Dans les familles, les enfants ne demandaient plus à leurs parents si Dieu existe : le mot semblait oublié... Trop de temps perdu - sans doute - à tenter de saisir l’infini, à scruter le silence, à plaquer des mots sur l'indicible.
Et puis, au moment où personne ne l’attendait plus, Dieu s’est ému de la situation.
Il est entré au-dedans de lui-même et il s’est dit :
“Comment les hommes pourraient-ils savoir à quoi je ressemble si je ne me montre jamais à eux, tel que je suis vraiment ?”
Dieu, qui était invisible, a décidé de se montrer aux hommes. Mais avant de venir sur la terre, il a pris le temps de réfléchir : il ne voulait pas rater son entrée ! Il voulait qu’à le voir, tous puissent le reconnaître… Mais quel aspect prendre ?
Celui d’un astre ? Pourquoi pas. Dieu sait que, sans lui, il n’y aurait pas de lumière.
Ou alors l’aspect d’un grand guerrier ? Pourquoi pas. Dieu sait qu’il est plus puissant que toutes les armées que la terre a portées.
Et pourquoi pas l’aspect d’un médecin ? Dieu sait qu’il est le maître de la vie ! Il peut même ressusciter les morts.
Dieu n’en finissait pas de se demander sous quelle forme il viendrait à notre rencontre. C’était épuisant, pour lui aussi. Alors, le Dieu invisible a cessé de penser aux astres, aux guerriers et aux médecins. “Les hommes ont raison, se dit-il en lui-même. Je ne peux pas me montrer aux hommes sans porter un masque. Quand bien même je leur rendrais visite, ils ne verraient que ce masque, il ne me verraient pas moi.”
Du côté des hommes comme du côté de Dieu, la chose semblait enterrée.
… Et puis, Dieu s'est finalement décidé. Cela aura pris des milliers d’années.
Pour lui, ce n’est rien. Pour nous, c’est beaucoup !
Cela lui a pris une nuit d’hiver. Dieu s’est réveillé en sursaut, tout en sueur. “Si je n’y vais pas maintenant, je n’irai jamais, se dit-il. J’y vais comme je suis, les hommes verront ce qu’ils verront, et c’est bien ainsi.”
Dieu sauta directement de son lit… sur la terre.
Ca y est. Dieu est parmi nous. Il a fait le grand saut. Les hommes peuvent enfin le contempler tel qu’il est. Sans masque, sans trucage, dans toute sa beauté, sa grandeur, sa divinité et sa gloire.
Mon conte de Noël, vous en connaissez la suite...
C’est un petit hébreu qui est né ce soir-là à Bethléem, en Judée.
Dieu était tout heureux de se montrer à nous tel qu’il est.
Il était un peu fier, aussi : ce n’est pas tous les jours que Dieu se donne à voir.
Le voilà à gazouiller dans son landau, sous les yeux attendris de Marie.
Cette nuit-là, quelques-uns seulement l’ont reconnu. Des petites gens : quelques bergers... Plus tard, des pêcheurs près du lac de Tibériade. Plus tard encore, ces drôles de gens qui se réunissent dans les églises, la nuit de Noël.
De vous à moi : ils ne sont pas très nombreux.
Normal... Comment Dieu espérait-il qu’on le reconnaisse ainsi ?
Quelle drôle d’idée d’être venu à nous tel qu’il est !
C’était la dernière chose à faire.
… Non. A la réflexion, la dernière chose, ce serait qu’il se donne à nous en nourriture.
Là, ce serait vraiment le bouquet !
Franchement, si j’avais été Dieu, je n'aurais pas fait comme ça.
Mais ça n’est pas tombé sur moi…
Après tout, c’est peut-être aussi bien.